RD Congo : Les produits alimentaires industriels, une chance ou une malchance ? Projecteurs sur quelques scandales dans la province du Kwilu

Par Badylon Kawanda Bakiman

Maladies, affouillements des cultures originales traditionnelles, perte de la biodiversité… autant des scandales alimentaires, culturels et environnementaux enregistrés en République démocratique du Congo (RDC) en général et dans la province du Kwilu en particulier suite au système alimentaire industriel et aux chaines de restauration du même cadre qui ont gagné du terrain dans cette partie d’Afrique. Situations déplorées et dénoncées par plusieurs acteurs tout en proposant des pistes de solutions

Juillet 2022, 110 personnes sont frappées par une diarrhée intense à Kikwit, ville économico-politique de la province du Kwilu dans le sud-ouest de la RDC. Ils ont des maux de ventre et des vomissent. Ces malades ont été tous à une  fête de mariage dans la grande salle du Centre culturel Lupemba dans la commune de Lukolela. Ils ont mangé des poulets, viandes importés dans des cartons et préparés avec des ‘’cubes magiques’’ et d’autres produits alimentaires industriels chimiques appelés ‘’Goût’’.

Du coup, des polycliniques, es centres de santé et hôpitaux sont inondés.

«Nous étions plus de 100 dans la salle de fête. Après avoir mangé et bu des boissons alcooliques, je suis rentrée à la maison à 1h00 du matin. Quelques minutes plus tard, j’ai eu des maux de ventre. J’ai fait la diarrhée cinq fois en vomissant. C’est ainsi que j’ai demandé qu’on m’amène à la polyclinique qui est non loin de chez moi», témoigne Rose Katutu, une des victimes de la fête rencontrée à la polyclinique Kiyankay sur le lit.

                                                             Georges Mpita, une des victimes de la fête de mariage

Elle ajoute que même les organisateurs de la fête, c’est-à-dire Théo Obengi et Fabiola Banganga, sont eux aussi tombés malades.

De son coté, Georges Mpita, une autre victime de la fête,  est allé au centre de santé ‘’Maman Katembo’’.

«Les maux de ventre et la diarrhée sont arrivés un jour après la fête. Je vomissais également. J’ai senti une faiblesse intense. Mais après avoir eu des médicaments les douleurs abdominaux ont diminué», explique-t-il sur le lit.

Selon lui, il a décidé de ne plus mangé des produits alimentaires industriels qui contient des additifs chimiques.

Toutes les victimes ont eu les mêmes signes. Contacté à ce sujet, le docteur Paulin Kiyankay, un des médecins traitants à la polyclinique Kiyankay, parle de ‘’l’intoxication alimentaire et des aliments avariés’’.

                                                   Rose Katutu, una autre victime de la fête de mariage

Le parquet de grande instance de Kikwit avait interpellé le couple organisateur de la fête, ouvert une enquête dont les résultats ne sont pas encore rendu publics. Le procureur de la République ainsi le couple précité avait sillonné les supermarchés et magasins où les produits étaient achetés.

Papy Djedje, un des préfets des études, hait des laits en poudre industriel qui sont dans des boites.

«Chaque fois quand je prenais ces laits, j’avais toujours des gargouillements, des flatulences, des maux de ventre et la diarrhée», déclare-t-il.

                       Papy Djedje, un des préfets des études qui hait des laits en poudre industriels

Il ajoute qu’à la place de ces laits, il recourt à la farine de soya qui est culturel et bio.

Thérèse Mumpa, elle, est diabétique. «J’avais l’habitude de prendre des ‘’cubes magiques’’, ‘’les biscuits salés ou sucrés’’ le ‘’Goût’’ …  que j’achetais au marché et dans des alimentations. Cela me poussait à pisser plusieurs fois pendant la journée ou la nuit.  Actuellement, sur demande des nutritionnistes, j’ai cessé de prendre ce que j’adorais».

Petit Babana, technicien à la radio diocésaine Tomisa ne prend plus le riz importé.

«Cette décision est prise depuis 2014. Car, cette année-là, lorsque j’étais à Kinshasa, la capitale, j’avais pris deux fois, ce type de riz qui m’avait provoqué une grande constipation pendant une semaine et demi», témoigne-t-il.

Carte de la République démocratique du Congo

Il affirme qu’en cas de besoin, il recourt au riz local.

De son côté, Joachin Kusamba, président de la société civile du territoire de Gungu, ne mange plus des ‘’spaghettis’’ et le ‘’Goût’’.

Carte géographique de la province du Kwilu

«Lorsque je prends ces produits alimentaires, j’ai des gastrites. Ça me rend mal    à l’aise. Une fois j’avais tenté une expérience. Je lavais une de mes chemises blanche. J’ai glissé trois petits paquets de ‘’goût’’ dans le récipient où il y avait ma chemise blanche. J’ai constaté que la chemise était devenue très propre grâce aux additifs  chimiques contenue dans le ‘’goût’’ que des gens consomment», raconte-t-il.

                                                                                            D’autres variétés de cubes magiques

Il révèle que de temps en temps des  gens recourent à ces ‘’goûts’’ pour faire une bonne lessive.

Quant à elle, Pascaline Minganda du territoire d’Idiofa est asthmatique reconnue. Elle a souvent des vertiges et lle  avait l’habitude de prendre le  nitrate de sodium, un des additifs alimentaires.

«J’ai cessé de prendre ce nitrate de sodium depuis l’année passée sur demande de mon médecin», indique-t-elle.

Situations dans un contexte terrible

Toutes ces situations se déroulent dans un contexte caractérisé par la présence des tonnes et des tonnes des produits alimentaires industriels : des saucissons importés; des boissons sucrées (fanta, coca-cola…); des boissons alcoolisées de plusieurs marques ; des pizzas pré-emballées, des fastfoods (hamburger, shawarma…) ; des cubes magiques, des laits en poudre ; des spaghettis ; des macaronis ; des biscuits salés ou sucrés ; des poulets nus avec formoles dans des cartons ; des goûts chimiques etc.

                                                                                                     Dr Paulin Kiyankay

Parmi ces produits alimentaires industriels, plus de 50 pour cent sont importés et d’autres sont produits sur place en RDC par plusieurs entreprises comme African Foods & Beverages (AFB) qui représente la diversité organisationnelle de Zenufa Group of Companies ; All Pack Industries  qui met à la disposition des populations des cartons pour l’emballage des produits ainsi que des plateaux d’œufs ; etc.

A cela s’ajoutent des entreprises brassicoles comme par exemple BRACONGO, une filiale du Groupe BGI (Brasseries et Glacières Internationales) ; BRALIMA autrement appelé ’’La Brasserie de Léopoldville’’ créée le 25 octobre 1923…

Contacté à ce sujet, le Dr Kossi Akpaki, spécialiste en Nutritions, explique : «Dans le processus de fabrication des produits alimentaires, l’ajout des ingrédients chimiques est légalement reconnu et réglementé. Les ingrédients chimiques sont appelés “additifs alimentaires” et jouent plusieurs rôles dont le plus important est de prolonger la durée de conservation des produits alimentaires».

                                                              Docteur Kossi, spécialiste en nutrition

Il ajoute : «l’utilisation des additifs alimentaires d’origine chimique dans les produits alimentaires n’est pas sans conséquences. En effet, lorsqu’ils sont utilisés à des doses élevées dans les produits alimentaires, ils deviennent toxiques. Le glutamate de sodium, additif alimentaire qui permet de relever le goût des plats préparés, des biscuits salés ou sucrés, des sauces industrielles. Le problème avec lui, c’est qu’il perturbe les hormones qui régulent notre appétit. En d’autres termes, il nous rend carrément accro au produit qu’on est en train de manger ! Sans compter qu’il fait exploser notre glycémie, favorisant le diabète, et peut être à l’origine d’un vieillissement prématuré du cerveau»

Le Dr Kossi indique aussi qu’une consommation excessive de nitrate de sodium peut entraîner, entre autres, de l’asthme, de l’hyperactivité, des insomnies, des vertiges, des baisses de tension, des nausées ainsi que certains cancers (notamment le cancer colorectal).

Thérèse Kangutu, également nutritionniste, interpelle : «les autres dangers que cause le système alimentaire industriel sont la montée exponentielle des maladies non transmissibles (MNT) dans les pays à revenu faible ou intermédiaire dont la RDC. Entre autres MNT, nous avons les problèmes de la malnutrition excédentaire (surpoids et obésité), l’hypertension artérielle, diabète de type 2, les maladies cardio-vasculaires (crise cardiaque, infarctus de myocarde, accidents cérébraux vasculaires…) et les cancers».

De son côté, Ir Jean Bavon N’Ki-à-Zil du ministère de l’agriculture fait savoir que Dans un contexte de la mondialisation, les contrats/accords commerciaux sont signés entre les pays dans le respect des règles et principes de l’Organisation Mondiale du Commerce.

                                                                                                          Des spaghettis

«Ce sont ces accords qui permettent un pays d’importer ou de favoriser l’importation des produits alimentaires sur son territoire. En RDC, même si c’est l’état congolais qui est signataire des accords commerciaux, se sont ses institutions clés (notamment le ministère de commerce) qui endossent lesdits accords. Ainsi, tout opérateur économique qui veut importer des produits alimentaires en RDC doit s’adresser au ministère du commerce. Ce dernier à travers un de ses organes, l’Office Congolais du Contrôle (OCC) fait le contrôle de tous les produits alimentaires qui entrent sur le territoire congolais»

Ir N’Ki-à-Zil affirme également qu’eu égard aux différents scandales sanitaires constatés, il ne consomme plus des produits alimentaires industriels contenant des additifs chimiques.

Affouillements des cultures originales traditionnelles, perte de la biodiversité…

Le recours systématiques aux produits alimentaires industriels a également  engendré des affouillements des cultures originales traditionnelles qui étaient dans les habitudes alimentaires des Congolais en général et des Kwilois en particulier.

«Depuis plusieurs années, nous avons oublié d’utiliser ce que nos aïeux appelaient ‘’Mukubi’’. C’est une sorte d’ingrédient sous forme de graine ou de feuille que l’on glisse dans des aliments qu’on prépare afin d’améliorer le goût des aliments et lutter contre des vers intestinaux. Aujourd’hui ce ‘’mukubi’’ traditionnel et naturel est remplacé par des ‘’cubes magiques’’», regrette Albert Wunda, secrétaire exécutif de AIPD (Appuis aux initiatives paysannes pour le développement), une plate-forme de plus de 50 structures paysannes dans la province du Kwilu.

De son côté, la nutritionniste Thérèse Kangutu se souvient de plusieurs sortes de champignons localement appelés ‘’Busunda’’ et ‘’Bukolokoto’’ qui sont ignorés par la jeunesse d’aujourd’hui.

«C’est grave sur le plan culturel. A cela s’ajoute ce que nos ancêtres  appelaient ‘’Lapelete’’ en Kiyansi (une des ethnies congolaise présente dans la province du Kwilu). ‘’Lapelete’’ est une variété de courge produits par de gros arbres en forêts. Très vitaminé. C’est ignoré et des gens ne les consomment plus», indique-telle.

Le Dr Kossi enchaine : «Les chenilles, les s herbes aromatiques (persil, basilic…)…sont quelques exemples des aliments que nos aïeux  mangeaient et qui malheureusement sont négligés  ou oubliés de nos jours dans nos alimentations quotidiennes»

Concernant l’environnement, l’usage des engrais chimique a abimé la fertilité du sol et la biodiversité là où c’était utilisé systématiquement.

«Nous avons une mauvaise expérience avec l’usage des engrais chimique. Par exemple deux hectares de l’espace ‘’Mangonji’’ à 20 kilomètres de la ville de Kikwit dans la province du Kwilu n’est plus cultivable. Le sol n’est plus fertile. La forêt est partie. La biodiversité abimée», déclare Albert Wunda de l’AIPD.

Un autre cas, c’est dans le territoire de Gungu à plus de 70 km de Kikwit : «Il s’agit de Gungu-Katutal où trois hectares et demi sont abimés. Car les Chinois utilisaient de temps en temps des engrais chimiques», témoigne l’Ir Jean Bavon N’Ki-à-Zil.

Il regrette encore : «Ces scandales environnementaux et écologiques ont fait que les gibiers, les gros  ras, des serpents, des écureuils, des tarsiers ainsi que plusieurs variétés de champignons et des chenilles ont disparu».

Quelques pistes de solutions

Face à cette situation, plusieurs personnes contactées émettent des pistes de solutions susceptibles d’être utilisées par les gouvernants, les structures de la société civile intervenant dans l’agriculture, l’alimentation et l’environnement.

«C’est à l’état Congolais qu’incombe la responsabilité de protéger notre alimentation ou notre système alimentaire. Ceci doit passer par deux choses fondamentales : lois ainsi que les contrôles assidus réguliers. En effet, l’état doit légiférer c’est à dire promulguer des lois/arrêtés/décrets interdisant ou limitant l’importation des produits alimentaires industriels nocifs à la santé des populations. Ensuite, veillez à l’application stricte desdites lois au niveau des frontières grâce aux contrôles routiniers ou inopinés», suggère le Dr Kossi.

De son côté Ir Wunda pense à la valorisation et la promotion des produits alimentaires culturels africains.

«Pour y parvenir, il faut d’abord faire l’inventaire des différents aliments qui, jadis, étaient consommés par nos aïeux et qui ne causaient pas du tort. Puis, faire la promotion via des médias, des sensibilisations, des conférences, des cours  au niveau des institutions scolaires et académiques etc.», indique-t-il.

HarvestPlus, une des solutions en RDC

A travers son ‘’Projet multisectoriel de nutrition et de santé’’ (PMNS), HarvestPlus, une des ONGs internationale, ainsi que ses partenaires mettent au point de nouvelles variétés de culture vivrières de base plus nutritives, à teneur plus élevée en vitamine A, en Fer ou en Zin.

                                                                                        HARVEST PLUS

«Les produits alimentaires industriels sont une chance pour l’alimentation, mais une malchance causant des scandales pour la santé de certaines gens», conclut Kangutu.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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