Afrique : Covid-19: Opportunité pour une véritable indépendance africaine?

Par Sovi L. Ahouansou

Mon souhait pour l’Afrique après cette « pandémie »

Dans une interview récente du docteur Jérôme Munyangi sur l’artemisia dans le traitement du paludisme, publication de mondialisation.ca que j’ai partagée sur ma page LinkedIn, je me posais la question de savoir quelle est la responsabilité des gouvernements africains dans ce dossier de l’utilisation de l’artemisia pour enrayer le paludisme sur le continent africain malgré l’opposition de l’organisation mondiale de la santé (OMS)?

Quelques jours après ce partage de publication, c’est de Madagascar que nous vient une nouvelle inédite à laquelle personne ne s’attendait : l’arrivée de Covid-Organics. Il ne s’agit pas seulement du traitement du paludisme, mais d’une décoction pour traiter du Covid-19, la « pandémie » actuelle à laquelle notre planète est confrontée.

Dans les deux cas de traitement (le paludisme et le Covid-19), l’opposition de l’OMS est claire et nette. L’artemisia (sous les formes présentées par les Africains), ne saurait être la solution à ces deux maladies auxquelles notre humanité fait face. Cette opposition de l’organisation onusienne, suscite beaucoup d’incompréhensions de la part des observateurs. Entre autres, certains se demandent pourquoi une solution ou une piste de solution visant à résoudre un problème mondial serait-elle rejetée par une instance dont le mandat est de travailler à la santé des populations de notre planète? Face à cette question, des spéculations vont bon train.

La polémique

Pour certains, les remèdes à base d’artemisia tels que présentés, valent la peine d’être essayés au lieu de laisser les humains mourir -par le paludisme et/ou par le Covid-19-. D’autres vont jusqu’à taxer l’OMS d’être une caisse de résonance des grandes puissances Occidentales tout en dénonçant l’institution internationale de mépris pour les chercheurs malgaches voire africains.

Dans certaines capitales africaines, l’on se demande pourquoi l’OMS ne s’associerait pas avec les scientifiques malgaches pour organiser des essais cliniques et avoir des résultats scientifiques à faire valoir au lieu de demander à ce petit pays de l’Océan Indien de produire seul les dites preuves?

L’on se rappelle de la polémique à propos de la Chloroquine avec le Dr. Raoult; certains pays en Afrique par exemple, n’ont pas attendu des essais cliniques venant de la France pour administrer le traitement défendu par le médecin chercheur marseillais. Car il s’agissait de sauver des vies humaines. Autrement dit, il y a urgence et il faut parer au plus pressé pour sauver des vies au lieu de verser dans la polémique. L’OMS devrait se rapprocher plutôt de Madagascar pour travailler à établir les preuves scientifiques, surtout qu’il s’agit d’un pays dit sous développé, donc avec des moyens limités.

Dans cette polémique, certains Africains soulignent qu’il faut absolument des preuves scientifiques  quelle que soit l’urgence. Selon eux, nombre de malades guéris du Covid-19 (105 sur 171 à la date du 11 mai 2020 à Madagascar) ne saurait être une preuve scientifique suffisante pour une homologation et une utilisation à grande échelle des remèdes proposés par la Grande Ile.

Dans la réalité, l’organisation mondiale de la santé elle-même parle de prudence. Pour elle, le Covid-organics ne saurait être utilisé pour le traitement des populations sans les tests scientifiques. La représentante de l’OMS pour l’Afrique Dr. Matshidiso Moeti affirme que « même lorsque des traitements sont issus de la pratique traditionnelle et de la nature, il est primordial d’établir leur efficacité et leur innocuité grâce à des essais cliniques rigoureux » Selon elle, même si « des plantes médicinales telles que  l’artemisia annua sont considérées comme des traitements possibles du Covid-19, des essais devraient être réalisés pour évaluer leur efficacité et déterminer leurs effets indésirables ».

Dans une interview à deux médias français le 11 mai 2020, le président malgache Andy Rajoelina a répondu à l’OMS sur l’efficacité de son Covid-organics tout en dénonçant la condescendance des institutions internationales, plus précisément, l’OMS envers la médecine et les recherches africaines.

De cette polémique et de cette réponse du président malgache, que pouvons-nous retenir pour le développement de notre continent?

Le président Malgache Andry Rajoelina buvant la décoction de Covid-organics (photo-Alliance/dpa)

Des solutions locales pour une « pandémie » globale : Une opportunité pour l’Afrique…

En ce qui nous concerne, la crise sanitaire avec son prolongement en crise socio-économique que traverse actuellement l’humanité devra être pour l’Afrique une opportunité. Une opportunité pour le continent noir de prendre conscience de ses potentialités. Une prise de conscience qui ne doit laisser aucun de ses fils et filles indifférents. À mon humble avis, si la crise est mondiale, les solutions devront d’abord être locales et endogènes.

Les dégâts causés ça et là, justifient ma prise de position selon laquelle les solutions devront être d’abord locales. Alors que nombre, surtout à l’extérieur de l’Afrique prédisaient le chaos pour notre continent, la catastrophe ne s’est pas [encore] produite, au moins pour l’instant.

L’Afrique semble se porter mieux et travaille assidûment pour contrer les effets de la « pandémie ». À la date du 12 mai 2020, les statistiques affichées (67 957 cas confirmés de coronavirus, et 2 340 décès) confirment bien que l’Afrique s’en sort plus ou moins bien par rapport à d’autres pays dits développés (Canada : 71 200 cas environ avec 5200 décès, France : 178 500 cas environ dont 27 000 décès) et par rapport au reste du monde (4 300 000 de cas pour 290 000 décès), malgré la faiblesse dit-on du système sanitaire de l’Afrique.

Cette faiblesse du système sanitaire, est à mon avis, une raison de plus pour justifier la mise en œuvre [l’idée] des solutions locales.

Pendant que l’Occident s’efforce avec ses méthodes dites modernes, le continent noir se tourne vers sa phytothérapie traditionnelle. La coopération scientifique entre le Burkina Faso et le Bénin pour la mise en œuvre d’essais cliniques sur un phyto-médicament, l’Apivirine, mis au point par le docteur Agon, est un exemple de solution locale à cette « pandémie ». Au Cameroun, Monseigneur Samuel Kleda, archevêque [métropolitain] de Douala et son équipe travaillent sur une phytothérapie locale et mettent gratuitement à la disposition des malades une décoction curative du Covid-19.

Bien que des efforts restent à fournir pour convaincre de leur efficacité, toutes ces initiatives ô combien salutaires sur le continent africain, sont à mettre au compte des efforts de solutions locales et endogènes.

N’avons-nous pas l’habitude, en tant que citoyens, de nous soustraire des erreurs commises par le passé, en n’accusant que nos dirigeants, nos gouvernants et autres?

Cette crise nous donne l’occasion de redire que nul ne sera de trop et que nul ne doit se soustraire pour apporter sa contribution. Le développement de l’Afrique incombe à tous ses fils et filles sans exception. Que nous soyons de l’intérieur ou de la diaspora, que nous soyons lettrés ou illettrés, intellectuels ou analphabètes, paysans ou artisans, commerçants ou autres, le continent a besoin de tous ses fils pour rebondir. Et cette crise nous en donne l’opportunité. Comme le rappelle bien la métaphore de la jarre de Ghézo (roi du Danhomê 1818–1858), si tous les fils et filles du continent venaient boucher, à l’aide de leurs doigts la jarre trouée, celle-ci pourra retenir de l’eau de boisson indispensable à la survie de l’espèce humaine, donc du continent.

… en collaboration avec le reste du Monde

S’il est primordial pour l’Afrique de travailler à trouver des solutions locales et endogènes à la situation d’une crise globale, la collaboration avec le reste du monde n’est pas à exclure. Cette crise nous donne l’occasion de comprendre que l’humanité a un destin commun. N’avons-nous pas appris, rien qu’avec le confinement, que nous sommes tous (nantis et pauvres, développés et sous développés) logés à la même enseigne? Et que les problèmes auxquels l’humanité fait face, mérite une collaboration pour leur résolution.

Sur le plan micro-économique par exemple, il faut un rééquilibrage des efforts des uns et des autres (que les nantis participent plus aux efforts de développement et d’épanouissement des faibles sans se faire imposer comme il est malheureux de le constater jusqu’à date. Par Exemple pour la répartition des ressources nationales : Les gros salaires des président-directeurs au détriment de ceux qui font les vrais travaux à la base.

« Que les cerveaux pensent plus aux gros bras ». On peut citer comme exemple, les cas de l’Allemagne et du Japon au sortir de la Deuxième Guerre Mondiale, où les plus nantis ont été taxés de 50% (en Allemagne) jusqu’à 90% (au Japon) de leur revenu, pour relancer l’économie et lutter contre les inégalités sociales. Autrement dit, repenser le système des transferts sociaux pour corriger les inégalités.

Sur le plan macro-économique, le système du modèle économique qui veut que les ressources soient tirées des pays du Sud et les transformations se fassent dans les pays du Nord avec des valeurs ajoutées qui ne profitent qu’aux pays dits développés doit être repensé. Autrement dit cette mondialisation qui ne profite qu’aux pays développés tout en laissant le reste du monde en rade doit être revisitée.

Dans cette optique, l’économiste togolais Kako Nubukpo, rappelle aux Africains que la « perpétuation d’une insertion primaire du continent au sein du commerce international est proprement mortifère». Il souligne que «l’urgence pour l’Afrique, c’est la transformation sur place des matières premières, qui seule est véritablement capable de créer de la valeur, des emplois et de diversifier la base productive de l’économie. C’est de cette manière que l’Afrique pourra alimenter son futur marché intérieur de plus de 2 milliards d’habitants grâce à sa propre production et réduire sa vulnérabilité vis-à-vis du reste du monde».

Sur le plan sanitaire, comme constaté et fortement médiatisé, le système sanitaire des pays africains mérite une attention toute particulière. Le système sanitaire dans notre monde reste à développer surtout dans les pays du Sud (les pays du Nord ne sont pas épargnés non plus) mais surtout dans les pays africains, où les dirigeants, au moindre mal de tête, prennent l’avion pour se faire soigner en Occident, alors qu’ils ont la possibilité de construire et d’équiper les hôpitaux dans leur propre pays.

Quelques leçons de la « pandémie » donnant des opportunités pour l’Afrique.

Il a été constaté pendant cette « pandémie » du Covid-19, l’importance de l’outil Internet. Les vidéos conférences ont pris de l’avance sur les réunions en personne pour cause de confinement, de la distanciation physique et de la non-disponibilité des moyens de transport. Les réseaux sociaux ont fonctionné à plein régime.  Ainsi donc, un exemple de changement direct du Covid-19 dans notre vie serait : l’importance accrue de l’internet. Les gouvernements des pays africains sont plus que jamais convaincus qu’ils étaient sur la bonne voie. Celle d’investir dans les infrastructures des connexions Internet. Cet effort doit être poursuivi.

Sur le plan philosophique, moral, humain et écologique, il nous faudra « plus d’humilité pour que vive notre humanité ». Cette « pandémie » vient de nous révéler notre vraie nature : la nature humaine. Un élément de l’écosystème qui n’est pas plus important que les autres éléments de la nature auxquels nous devrons respect et protection. L’Afrique doit éviter les erreurs commises par les autres nations dans le domaine de la protection de la nature.

Une autre leçon forte et marquante de cette « pandémie » est la force du contact humain. Les rapports entre les humains sont très importants. Cette leçon a été révélée par les nombreux cas de dépressions rapportés par les spécialistes des sciences sociales notamment les psychologues. D’ailleurs la difficulté du confinement en Afrique tel imposé en Europe, illustre bien l’importance des rapports humains dans nos sociétés africaines.

On a vu qu’en Afrique, le confinement n’est pas possible comme il a été demandé en Occident par exemple. Au Bénin on a parlé de barrière de sécurité ou de zone sanitaire pendant qu’au Mali et au Niger, il s’est agi de couvre-feux et de confinements allégés. Tout ceci montre la diversité de nos sociétés et la nécessité de tenir compte de cette diversité dans les politiques de développement et des relations internationales. Néanmoins, malgré le succès des réunions par vidéo conférence, on comprend bien qu’elles ne peuvent pas remplacer les convivialités des réunions en personnes. Ces e-réunions sont intéressantes pour régler des urgences, limiter les déplacements, réduire la consommation énergétique et autres. Mais elles manquent de chaleur humaine qui est l’une des caractéristiques de notre société humaine.

Outre l’importance de la nature (environnement) cette crise a permis de jeter un regard d’empathie sur nous mêmes. Un regard sur l’essentiel dirait l’autre. Ce que nous sommes réellement : des humains, avec nos forces, mais surtout sur nos limites. C’est l’occasion de penser à nous en tant qu’humain, mais surtout en tant que citoyen. « Que le citoyen reprenne sa citoyenneté », s’implique davantage dans le mode de fonctionnement et surtout dans la gouvernance de sa localité. Remettre l’humain au centre de tout au lieu de laisser les mégastructures étatiques gouverner le monde.

Que les préoccupations de la ville de Wuhan (en Chine) par exemple, soient d’abord l’affaire des citoyens de Wuhan et que celles de Savalou au Bénin soit réglées d’abord par les populations locales de Savalou. Que des mégastructures étatiques comme l’OMS, l’ONU… soient modérées dans leurs approches de généralisation et de « solutionnement » des problèmes de la planète.

Sur le moyen et long terme, l’après Covid-19 sera fait de rêves, de souhaits, de discours et même d’utopies dans beaucoup de domaines (culture, santé, sociale, économie, écologie…) de l’intervention humaine. Il nous faut éviter les erreurs du passé. Par exemple, entre mars et avril 2020, il y eu 33 millions de chômeurs aux États-Unis et plus de 3 millions au Canada.

Les gouvernements se sont vus obliger de débourser de fortes sommes d’argent à leurs citoyens pour lesquels ils refusaient de payer de petits avantages financiers que réclamaient les syndicats un mois plus tôt. C’est le cas en Ontario, une province du Canada, où les enseignants étaient en grève le mois de février 2020 pour des revendications salariales. Le gouvernement conservateur de Doug Ford, qui refusait de satisfaire ces revendications corporatives, a dû débourser des millions de dollars pour payer ses enseignants forcés de rester à la maison depuis bientôt trois mois. Que ces exemples inspirent nos dirigeants en Afrique pour un mieux-être partagé sur le continent.

Comme le signale Achile Mbembé, philosophe, politologue et écrivain camerounais, le Covid-19 est un « symptôme de notre course folle vers le néant ». Il nous faut réinventer l’économie locale, se baser sur ce qui existe chez les populations et non sur ce qui est exporté. (Quoique ce qui est exporté a son mot à dire). Il s’agit d’une crise de civilisation quoique ce soit d’abord une crise sanitaire et il faut réinventer notre mode de vie. Il nous conseille de revoir le rapport intra-sociétal.

«Demain ne saurait être simplement une répétition d’hier. Ce dont l’Afrique a besoin, c’est d’une grande transition. La prospérité n’est pas synonyme de ponction indéfinie des corps humains et des richesses matérielles. Elle est affaire de qualité des liens sociaux, de sobriété et de simplicité. L’impératif aujourd’hui est à la décélération et à la désaddiction. Un tel programme suppose que nous élaborions ensemble, à petite échelle, des actions de relocalisation de l’économie».

Cette nouvelle économie doit être orientée vers « les besoins locaux, ceux de premières nécessités. Car, c’est à travers la satisfaction des besoins de premières nécessités que nous restaurerons à tous la dignité perdue. Réhabiliter la localité exige, de son côté, de soutenir les pratiques de résilience territorialisées dont regorge le continent».

En Afrique et pendant très longtemps, «l’État a été, et est encore dominé par une classe de prédateurs qui utilisent leurs positions de pouvoir au sein de la bureaucratie pour maximiser des profits personnels. Dans sa formule actuelle, l’État ne réinvestit guère dans l’entretien et le renforcement des capacités génératives des communautés». Tout cela doit changer pour que le continent prenne sa place dans le concert des nations.

Le philosophe, écrivain sénégalais Felwine Sarr décrit la crise actuelle comme une crise « antropocène » (signifie littéralement « l’âge de l’Homme ». Ère géologique actuelle se caractérisant par des signes visibles de l’influence de l’être humain sur son environnement, en particulier sur le climat et la biosphère). « Elle résulte de nos modes de vie, de la dévastation de la biodiversité et de la réduction de l’habitat naturel d’espèces non humaines ». Il souligne que la « pandémie » « nous montre la nécessité radicale de changer notre rapport à l’écologie, la surconsommation et les excès économiques et industriels.» Pour donner une chance sérieuse aux générations montantes, le continent africain doit tirer grandement leçon de cette orientation malencontreuse prise par d’autres sociétés, plus précisément les communautés dans les pays occidentaux.

Le développement et l’indépendance réelles du contient sont à ce prix. Autrement dit, dans la recherche et la mise en œuvre des solutions endogènes et locales. Souhaitons vivement que cette option de lucidité sera celle de l’Afrique dès maintenant, pour que vive cette humanité dont elle est le berceau.

Sovi L. Ahouansou

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Références :

https://www.aa.com.tr/fr/afrique/covid-19-loms-prévient-contre-ladoption-du-covid-organics-sans-tests-scientifiques-/1833700

https://www.bbc.com/afrique/region-52584844

https://www.lepoint.fr/afrique/madagascar-ce-que-l-on-sait-sur-le-covid-organics-09-05-2020-2374816_3826.php 

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